Dissertation: "qu'est-ce qu'un homme civilisé?"
Qu'est-ce qu'un homme
civilisé?
Il paraît évident d'acquiescer que nous sommes des
êtres civilisés et gratifiés par une culture bien revendiquée. Cette fierté
provient du fait que nous appartenons en toute conscience à un groupe et que
nous consentons à obéir à des lois communes régies dans l'intérêt de ce groupe.
Ainsi nous revendiquons fièrement les mœurs de notre "civilisation"
qui transparaît une connotation valorisante, comme une manière de façonner des
hommes bien accomplis, achevés et évolués. Ce terme renvoie largement à celui
de la culture, et n'est évidemment pas homogène à toute l'humanité. La culture
rend elle l'homme civilisé? On sous-entend donc que dans notre universelle
humanité, il y aurait des hommes civilisés ainsi que des sauvages. On peut
ainsi se questionner sur le sens d'un homme civilisé et son lieu d'être. Ainsi
nous chercherons tout d'abord en quoi un homme civilisé vit au-delà de sa et la
nature, puis le façonnement de par la culture et enfin les effets et les
impacts du processus de civilisation.
Tout d'abord se pose la question de l'homme civilisé
et son rapport à sa propre nature. Par son comportement et ses actes, on peut
constater que l'homme civilisé n'est pas toujours en adéquation avec la nature.
Il entretient une dimension démesurée avec elle. L'est-il avec sa propre
nature? Nous examinerons les pensées d'auteurs pour mieux développer le rapport
entre l'homme civilisé et sa nature que nous tenterons d'identifier.
Premièrement, les hommes sont issus de processus
naturels, mais il faut dire que nous nous démarquons des autres êtres naturels
par notre comportement très éloigné de la nature. Depuis très longtemps,
l'homme se proclame maître de la nature du fait de son savoir, et l'exploite à
sa guise. Destruction de l'environnement, élevages intensifs, croisements
génétiques: l'homme de nos jours agit contre le bien-être de la nature pour son
propre profit. On constate donc l'une des différences primordiales qui le
sépare des animaux. L'homme agit aussi parfois contre sa propre nature: il fume
alors que cela génère des maladies et accélère la mort, il subit des greffes
qui lui permettent de vivre plus longtemps. On peut donc dire que nous sommes
des êtres biologiques et naturels mais nos compétences font que nous fabriquons
des choses contre nature, et notre évolution détruit clairement la nature. Mais
si nous les fabriquons avec nos compétences d'humains pourquoi ne
seraient-elles pas naturelles? Parce qu'elles n'illustrent pas un aspect
essentiel de notre nature et ne se retrouvent pas dans la nature même. On en
déduit que c'est par ses actes et ses œuvres que l'homme devient
civilisé.
On peut donc demander à identifier la nature de
l'homme. Dans la généralité, on peut dire que l'homme est un animal avec des
instincts dotée d'une raison qui, à la différence de l'animal, n'agit pas par
instinct mais dans un but de liberté. Rousseau disait à ce propos: "La nature commande à tout
animal, et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression mais il se
reconnaît libre d'acquiescer ou de résister".
Ainsi on peut penser qu'à la base l'homme est
sauvage, dépourvu de toute instruction et mu uniquement par ses instincts, il
craint la douleur et ignore la mort, il vit dans l'instant et il ne se pose pas
la question du devenir: il se rapproche de la nature animale, on peut alors le
restituer à l'animalité: "Vouloir et ne pas vouloir, désirer et
craindre, seront les premières et presque les seules opérations de son
âme" dit ainsi Rousseau.
Mais pour passer du stade de sauvage à celui de
l'homme accompli, on pense que la communication est nécessaire et permet une
sortie de l'état de nature pour évoluer. On peut penser que sa façon d'être et
ses comportements ont évolués et c'est ainsi qu'il passe de l'animalité à
l'humanité. En effet, Aristote disait que l'homme est un animal rationnel doué
de logos (parole et raison), la possession du logos le différencie des animaux
et il n'est pleinement un homme que s'il use au mieux de sa raison. Il soutient
que la nature ne fait rien au hasard, et donc si les êtres sont dotés de capacités
comme la parole, c'est parce qu'ils en ont besoin car ils vivent en société et
de ce fait s'exprimer et communiquer leur est essentiel. Certes, les animaux
eux aussi communiquent, mais cet échange n'inclue pas de la pensée ni des
idées. Ainsi Aristote justifie la parole comme propre à la nature de l'homme,
elle serait donc régie par une vie sociale qui justifie sa faculté de parler
comme moyen d'expression de ses pensées. Il réalise sa propre nature au sein de
la vie sociale. Certains penseurs comme le Marquis de Sade ou Pascal,
expliquent que l'homme provient de la nature et possède une nature mais cette
dernière est dominée par la culture de sa société "Je suis l'homme de la nature
avant d'être celui de la société" rappelle
Pascal, et insiste sur la nature de l'homme avant le poids de sa culture. Ainsi
Rousseau exprimé lui aussi une nature spécifique à l'homme, et explique qu'il
est à la base ni bon ni méchant car il n'a pas de relations morales avec les
autres et ignore tout du bien et du mal. Dans cette mesure, l'homme civilisé
semblerait perverti par sa rencontre avec les autres hommes. C'est une défense
du mythe du bon sauvage à travers l'innocence initiale qui serait une valeur
primordiale dans la nature de l'homme: "Ignorer
les vices l'empêche de mal faire" soutient
Pascal. Mais la culture dénature-t-elle l'homme? Vercors, écrivain du XXe
siècle, pense l'homme est dénaturé. Il faisait auparavant partie de la nature
en tant qu'animal mais depuis a acquis des capacités qui découlent d'une
évolution, qu'il symbolise par la conscience de soi et du monde, il s'y est
détaché, et devient un être dépourvu de toute nature car il ne s'intègre pas
dans la nature "L'animal
fait un avec la nature, l'homme fait deux. Pour passer de l'inconscience
passive à la conscience interrogative, il a fallu ce schisme, ce divorce, il a
fallu cet arrachement. Animal avant l'arrachement, l'homme après lui? Des
animaux dénaturés, voilà ce que nous sommes". L'homme est devenu contre nature et
de ce fait s'est dénaturé. Tous ces penseurs convergent sur le point: s'ils ne
s'accordent pas sur le fait de sa nature, ils s'unissent à l'idée qu'il est
polymorphe et est clairement intégré dans un système culturel: nos capacités
bien différentes des autres êtres vivants nous poussent vers une évolution qui
nous amène ensuite la culture. Pour Kant, nous avons le devoir de cultiver nos
capacités, l'évolution en découle donc naturellement. Il reste maintenant à
voir si cette évolution fait de l'homme un être civilisé, étant donné qu'il est
un être de culture.
Pour définir l'homme civilisé, il faut d'abord
comprendre l'étymologie du mot. L'être civilisé fait partie d'une civilisation
qui se caractérise par son lieu de vie car "civilisé" vient de
"civis" qui signifie "personne qui jouit des droits de la
cité". Mais son sens définit aussi la conscience d'appartenir à un groupe
et le consentement à obéir à des règles communes dans l'intérêt de ce groupe.
On peut ainsi prétendre à une évolution collective des hommes vers une
civilisation. Si la culture est dans la nature de l'homme, on peut aussi
définir ce terme: l'appartenance à un système social rationnel détermine la
culture au sens large, c'est à dire l'ensemble des activités des objets et des
croyances qui caractérisent l'ensemble d'un groupe, d'une ethnie ou d'une
population. Aristote dit que la nature (au sens large) a produit la nature de
l'homme, ce dernier ne devient un homme que dans son appartenance à une cité,
on ne naît pas homme en tant que tel, on le devient en vivant dans un foyer
sous l'autorité des lois et la conscience de la morale. La société fait de
l'humain un homme.
Mais il y a
des hommes qui ne vivent pas en cité, ne profitent pas d'un système d'évolution
collective, cependant ils restent hommes mais pour cette raison ne sont pas des
hommes accomplis. Par exemple, Victor de l'Aveyron n'est pas un homme accompli
parce qu'il ne présente pas les traits que l'on retrouve habituellement chez
les hommes évolués mais reste un homme du fait de son appartenance à l'espèce
humaine.
Donc l'homme agit contre la nature par ses
comportements excessifs, on comprend que sa nature est polymorphe. Il est
clairement intégré dans un système culturel qui le fait évoluer de l'animalité
à l'humanité. De ce fait, les hommes se regroupent et appartiennent à un
système rationnel de vie en communauté, c'est de là qu'ils deviennent des
hommes civilisés.
Toutefois, nous entendons la civilisation comme liée
à la culture, ce terme qualifie l'ensemble des phénomènes matériels et
idéologiques qui caractérisent une civilisation à la différence d'une autre. La
culture prend le sens des sciences, des techniques et également la vie
spirituelle propre à cette civilisation. Pour ainsi dire, là où il y a de
l'activité, il y a de la culture. Ainsi cette culture façonne l'homme, il est
déterminé par certains facteurs: l'homme est le fruit de la culture.
En effet, la culture se porte dans l'éducation et
les valeurs transmises au travers de celle-ci. Bien entendu, ces valeurs diffèrent
selon les civilisations puisqu'elles sont propres aux différentes sociétés. On
peut penser que l'homme est un être qui se façonne lui-même car rien dans la
nature ne lui dicte un comportement humain. Mais depuis toujours il fait partie
intégrante de peuples, et c'est pour cette raison qu'il est civilisé. Dès sa
naissance, l'homme évolue dans un milieu convenu, il intègre des informations
qui sont nécessaires à sa construction sociale. Selon un modèle propre à son
milieu, il reçoit une première éducation par ses parents: ils lui enseignent
des valeurs à la fois essentielles, on pourrait citer chez les chevaliers par
exemple le courage et l'honneur, mais aussi propres à la famille, celles-là
n'étant pas adoptées par tout le monde, où les parents du chevalier lui
enseignent la fidélité et l'honnêteté par exemple. Puis dans certaines
civilisations, il intègre une école, où on lui apprendra le respect par
exemple. L'objectif de l'éducation est d'enduire l'homme d'une culture et de le
façonner par ce biais, il appartient ensuite à la civilisation. Au travers des
préceptes et lois de cette culture, l'homme se développe et évolue: "Le premier fait qui soit
compris dans le mot civilisation, c'est le fait de progrès, de
développement" appuie
François Guizot. On peut dire que l'homme a réfréné ses instincts naturels par
l'apprentissage d'une culture et d'une éducation. Ainsi nous pouvons commencer
à marquer des différences entre certains mots, on peut supposer que l’humain
diffère de l’homme par le sens, ainsi l'un est un être de culture tandis que
l'autre est un être de nature. En effet, l'homme s'humanise par la discipline
et l'instruction puis il s'élève par le savoir: c'est là encore un fait qui
l'exclut de l'animalité. Mais l'éducation de l'homme se fait aussi hors du
cadre scolaire et familial, la société l'éduque par des lois qui régissent ses
libertés, devoirs et obligations, ainsi par cet apprentissage il incarne
l'image de l'homme civilisé. La société transmet des valeurs comme la liberté,
la reconnaissance ou l'altruisme auxquelles le citoyen s'identifie. Dans le
traité de pédagogie, Kant explique que "la
discipline transforme l'animalité en humanité", soutenant ainsi le
fait que l'homme civilisé possède l'éducation et la culture de sa patrie. De ce
fait, la culture fait évoluer notre façon d'être en la régissant par des
principes communs.
Mais l'éducation n'est pas le seul facteur qui
détermine la culture qui fait de l'homme un être civilisé. Le langage est aussi
une convention de la culture. En effet, il est propre à chaque civilisation et
à des objectifs précis: faciliter les échanges au sein d'un même groupe et
encrer les codes d'une culture.
Bien évidemment, les mots et les sens varient selon
les cultures mais il est clair que l'homme civilisé possède une langue et un
imaginaire linguistique propre à sa culture. Par exemple quand on me dit
"argent" je peux penser au matériau ou bien à la monnaie, tandis que
dans la langue anglaise "money" signifie seulement le moyen de
paiement. Ainsi, si nous voulons apprendre les codes d'une culture, nous devons
assimiler son langage pour en saisir l'essence. Selon Claude Levis
Strauss, ce qui détermine un homme comme civilisé c'est le langage articulé qui
permet d'échanger de la pensée. C'est pour lui le fait culturel par excellence,
c'est d'abord une partie de la culture et également un instrument essentiel par
lequel nous assimilons la culture de notre groupe. On retrouve ici l'une des
fonctions primordiales du langage qui attache les hommes à leur culture.
L'homme civilisé se caractérise donc par une langue
convenue qui est pleinement le fruit de sa culture,
Bien évidemment, l'histoire détermine également le
statut de l'homme civilisé puisqu'il découle, lui et son éducation ainsi que
ses lois et des droits, d'une histoire, celle de sa civilisation. L'histoire
est étroitement liée avec la civilisation puisqu'elle en retrace les origines
et façonne le citoyen: il est produit d'une histoire, elle a des conséquences
directes sur lui et influence clairement la société à laquelle il appartient.
La mémoire historique d'un peuple le fait vivre. Il est évident que le passé
influe le présent et donc également les hommes qui sont tributaires de
l'histoire, elle devient alors un pilier de la civilisation dans laquelle ils
évoluent. De plus, les coutumes, elles aussi découlent de l'histoire, sont
propres à une culture et le façonnent aussi. Par exemple, dans certaines
sociétés, il est voulu de manger avec une seule main car l'autre est utilisée
pour la toilette, cette coutume renvoie directement à des notions d'hygiène qui
régissent la notion de civilité du pays: la personne qui respecte la coutume
est civilisée. Freud insiste
sur l'un des principes de l'appartenance à la civilisation, et parle de
sécurité collective: "L'homme
civilisé a fait l'échange d'une part de bonheur possible contre une part de
sécurité", ainsi l'homme primaire échange sa liberté qu'aucune loi ne
régit contre une sécurité collective déterminée par des lois.
Ainsi, l'homme civilisé est un concept issu d'une histoire
dont il tire les influences mais le différencie clairement de la nature. Comme
le dit Merleau-Ponty: "L'homme
est une idée historique et non pas une espèce naturelle", on peut
penser qu'il n'est pas naturel du fait de ses capacités qui l'emmènent à
devenir contre-naturel. Le mot idée rappelle que l'homme est conscient et qu'il
pense, il réfléchit et que par cela il se démarque du reste de la nature. Par
ces mots, il confirme que l'homme est fruit d'une histoire et donc d'une
civilisation, il est donc plus civilisé par sa culture que naturel.
Enfin, l'homme civilisé est le fruit d'une culture
qui le détermine par trois grands piliers: son éducation, sa langue et son
histoire dont il est tributaire. Il est façonné et évolue dans ces conditions
convenues, il passe ainsi du stade "animal" à "humain".
Cette culture crée alors son identité, elle aussi fruit d'une culture puisque
l'identité de l'homme est façonnée par les mœurs de la société, ainsi mon
identité est française et je porte en moi la culture de mon pays. L'homme
civilisé possède également un nom, à la grande différence des animaux ou des
hommes venant de sociétés très primitives.
Si l'on peut s'accorder sur le fait que l'homme est
un être civilisé, il reste néanmoins la question des effets de cette
civilisation sur l'homme. Quels sont ses impacts et qu'apporte t-elle à
l'homme? Nous pouvons à présent nous questionner sur son sens et son utilité
mais nous pouvons également la remettre en question par ses contradictions qui
la rendent relative.
Comme nous l'avons dit, l'homme civilisé porte en
lui les valeurs qui composent l'essence de sa société, relatives à chaque
civilisation. Pour démontrer cette relativité, nous étudierons le cas de notre
civilisation française puis celle d'une autre civilisation et verrons si
leurs différentes mœurs peuvent changer le titre de peuple civilisé.
Rappelons-nous qu'un homme civilisé est avant tout une personne qui jouit de la
civilisation en participant au mode de vie conforme à l'idéal de celle-ci. Dans
un premier temps, considérons le cas de notre société française: pour nous,
être civilisé signifie porter les valeurs de la France et vivre conformément
selon ses lois. Une personne française est forcément civilisée car elle
appartient au système français et est façonnée par sa culture. Si nous voulons
jouer sur le sens du mot "civilisé", bien que la personne appartienne
à cette culture, elle peut avoir un comportement non civilisé, qui correspond
alors à la notion de "citoyen non exemplaire". Si un français se
promène nu dans la rue, il présente une attitude non civilisée car il montre
des codes sociaux qui n'appartiennent pas à ceux de la culture française, quoi
que lui-même soit totalement considéré comme un homme civilisé du fait de son
identité française.
Mais à présent prenons le cas d'une civilisation
dont les mœurs différent totalement des nôtres. La civilisation viking
s'avérait reposer sur des principes totalement différents, mais les personnes
qui appartenaient à ce groupe étaient tout autant membres d'une civilisation
que nous sommes citoyens français. Mais leur civilisation prônait des valeurs
très différentes, ainsi leur éducation n'était pas la même, de même pour leur
langue, leur histoire, leurs coutumes. De notre point de vue, nous les considérons
comme archaïques et brutaux car leur société ne présentait pas les mêmes codes.
Nous ne pouvons les admettre comme des hommes civilisés dans le sens étroit du
terme, du fait de leur société trop éloignée de nos mœurs, mais dans le sens
large, il serait juste de dire que les vikings étaient des hommes
civilisés. Nous pouvons encore démontrer la relativité du terme d'homme
civilisé en remettant en question les contradictions dues à son sens et son
application.
En effet, nous nous disons civilisés du fait de
notre culture et de notre technologie mais au final nous nous en servons pour
bombarder et régler brutalement des conflits. Il s'avère que d'autres peuples
bien plus primaires vivent dans le respect. Cette attitude reste paradoxale au
regard des jugements que nous portons sur les coutumes différentes des nôtres
parce qu'elles sont issues de fondements plus primitifs ou brutaux. Comment
considérer ce contraste? Sommes-nous réellement civilisés si nous ne respectons
pas les fondements mêmes de ce qui constitue l'essence de la civilisation et du
citoyen? "On assassine
des gens, et on nous le montre que lorsque tout est fini. Si c'est cela la
civilisation, je vous demande un peu ce qu'est la barbarie" dit Alice
Parizeau, ici en dénonçant la contradiction entre les valeurs républicaines et
les horreurs que nous avons provoquées- et provoquons encore- dans le monde.
Sommes-nous réellement des hommes civilisés, ici dans le sens étroit, nous nous
permettons de tuer alors que notre société nous l'interdit? Nous perdons alors
le second sens du mot, car malgré ça, nous restons des êtres appartenant à la
société française. Il faut aussi dire que des actes sauvages et barbares
peuvent être effectués dans le cadre de lois d'une société comme ce fut le cas
de la seconde guerre mondiale lorsque les nazis ont précipité la mort de
millions de personnes sous prétexte de leur religion.
Si à nos yeux cela leur enlève le titre d'honnêtes
gens, ils restent des hommes civilisés du fait de leur appartenance au groupe
allemand. Comme dirait Montaigne, "Chacun
appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage", marquant alors les
jugements au travers de nos différentes cultures, le barbare est un étranger or
leurs coutumes nous le sont et de ce fait ils nous apparaissent comme barbares.
La civilisation dans son sens large est universelle tandis que son sens aigu
est relatif aux différents fondements de nos sociétés. C'est l'ethnocentrisme
qui nous pousse à se voiler la face et à ne pas voir nos erreurs, de même que
pour nos propres contradictions. Dans nos sociétés très avancées, nous avons
parfois tendance à retirer l'humanité aux peuples qui nous apparaissent comme
barbares, parce qu'ils possèdent des mœurs violentes ou brutales, mais en
marquant ce genre de comportement nous leur empruntons une de leur attitude
typique. Montesquieu explique dans les lettres persanes "On est tenté de
considérer sa civilisation comme la seule concevable" et reprend par ces
mots le terme d'ethnocentrisme, c'est à dire la tendance à prendre comme
référence sa propre culture ou son propre groupe social et à privilégier ses
normes sociales en les valorisant, toutefois considérées comme
supérieures.
De plus, les valeurs communes sont revendiquées
comme piliers de la civilisation et forment au mieux les hommes civilisés. Il
est par là entendu que les hommes doivent être dignes des valeurs de leur
civilisation. Encore une fois, ces valeurs sont relatives selon les peuples
mais elles restent inculquées dans un même objectif, celui de créer un groupe
où règne le vivre ensemble, ainsi les individus sont régis par une morale à la
fois collective, du fait des lois, mais aussi individuelle, fruit de leur
éducation et de leur propre raison. Ces valeurs sont aussi le fruit d'une
tierce école, laquelle on pourrait nommer "l'école de la vie", propre
à chacun. Les valeurs communes sont donc créées par la société, elles ont une
emprise directe sur le comportement des citoyens puisqu'elles agissent sur sa
morale. On peut également penser qu'elles agissent directement sur le mental du
citoyen en régissant ses interdits sociaux, ce que dans le vocabulaire freudien
nous appelons "le surmoi" de l'inconscient. C'est une partie de
l'inconscient sur laquelle les valeurs et les restrictions de la société
pourraient agir en créant des interdits et des tabous sociaux, la personne est
alors influencée inconsciemment et ces valeurs possèdent une directe emprise
sur elle. Elle intériorise les règles de la société. Le citoyen doit alors
respecter les valeurs et la morale propre à sa civilisation pour en être digne.
Ainsi ces facteurs influent sur une mentalité propre au peuple. Par exemple en
France, outre la devise française et ses trois valeurs, on accorde grande
importance au respect et à la morale. Ces deux valeurs sont primordiales et
entretiennent la connotation positive du terme "civilisé" dans
l'inconscient collectif français (c'est encore une fois un petit tour de
l'ethnocentrisme). Dans les cultures européennes, le but spécifique de la
civilisation est d'aboutir à un respect collectif au sein de la nation et une
morale contribuant au respect. Les civilisations regroupent les hommes au sein
d'une même de mieux vivre ensemble et de se créer une identité, principe
d'individualisation, pour au final se regrouper autour de mêmes valeurs dans un
but d'identification et de reconnaissance mutuelle. Bien sûr, cela n'exclut pas
que l'homme civilisé s'enrichisse au travers d'autres cultures de la
sienne.
Mais à travers son éducation, son histoire et ses
valeurs la civilisation tend à élever les hommes vers un idéal propre à celui
de la société. C'est là son grand et dernier objectif. Ainsi se crée dans
l'inconscient collectif un idéal, plus au moins différent pour chacun mais
toujours en tension vers l'élévation et le surpassement. L'homme civilisé
connaît un idéal propre à lui mais c'est quand même le fruit de sa culture, il
s'efforce à se construire autour de cette représentation.
Un homme civilisé a donc un idéal vers lequel ses
forces convergent. La civilisation a aussi une fonction de développement de
l'individu: l'homme civilisé se construit autour de son idéal. Alexia Carrel
illustre ce propos "La
civilisation a pour but, non pas le progrès de la science, mais celui de
l'homme". Ainsi
l'objectif de la civilisation est aussi d'assurer un développement de l'homme
dans un sens moral et spirituel afin de créer les meilleurs êtres possibles
dans le point de vue subjectif de chacune des sociétés.
La civilisation viking voyait le citoyen exemplaire
comme un courageux combattant au service de sa nation tandis que l'idéal au
moyen-âge était d'être un chevalier. Pour Hegel, l'homme progresse et son
ultime objectif est de devenir un homme rationnel. Ce dernier serait une
construction de l'histoire, fruit de sa civilisation, il serait alors
parfaitement logique, raisonnable et raisonné. C'est une vision subjective des
objectifs de la civilisation. La civilisation a donc un rôle de motivation pour
l'homme mais lui donne aussi une idée d'un idéal à atteindre et donc l'amène à
respecter ses propres conventions sociales, morales, juridiques et politiques.
On peut donc dire que le terme d'homme civilisé est premièrement relatif car
son sens varie d'une civilisation à l'autre, il unie les citoyens autour de
valeurs communes qui donnent ainsi le sentiment d'appartenance au groupe, et
enfin il crée un idéal auquel tend le développement et la construction de
l'homme civilisé.
Pour conclure, la nature polymorphe de l'homme
l'intègre naturellement dans un système culturel qui le fait évoluer de
l'animalité à l'humanité. Ils deviennent civilisés du fait de leur vie en
communauté, où la culture spécifique le déterminé par trois grands piliers: son
éducation, sa langue et son histoire dont il est tributaire. Cette culture crée
alors son identité. L'objectif unificateur de la civilisation regroupe les
hommes civilisés autour d'un sentiment d'appartenance à un groupe et ils se
développent ensemble.
Enfin, l'homme civilisé reste un être issu de
processus naturels, il y a encore une partie de nature en lui, dominée par sa
culture. Merleau-Ponty dit à ce sujet "Tout
est fabriqué et tout est naturel en l'homme" et récuse l'opposition
entre la nature et la culture et montre que ces notions sont compatibles. Et
donc si tous les hommes sont fruits de ce même processus, ils sont faits de la
même manière même s'ils aspirent pas aux mêmes cultures, ils forment ensemble
l'humanité, c'est une seule et même famille, comme dirait Jean Jaurès "Au
fond il n'y a qu'une seule race: l'humanité". On peut aussi reprendre
les idées de Montaigne et parler d'une civilisation universelle où l'on
prônerait les mêmes valeurs comme la dignité propre et morale, elle
n'appartient à aucun peuple mais constitue l'humanité comme un ensemble des
êtres sensibles et raisonnables qui se respectent. C'est l'idée de citoyen du
monde. Ainsi nous pouvons nous demander s'il serait juste de penser cette
idée de citoyenneté universelle comme potentielle ou bien si ce n'est qu'un
concept utopique, du fait que certaines civilisations sont incompatibles et ne
peuvent pas vivre ensemble.
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